Ce récit a été écrit avec mon ami Sam entre janvier et avril 2020. L’objectif était de publier un chapitre chacun son tour sans se concerter sur la direction à prendre. Une sorte de cadavre exquis où les mots remplacent les dessins.

Le texte n’est pas figé et sera mis à jour.


01

Il pleuvait des hallebardes. C’était assourdissant. Les éclairs illuminaient mon chemin et me laissaient découvrir les vagues titanesques qui léchaient la paroi rocheuse de la falaise. Plus que quelques pas et je laisserai mon vertige derrière moi. C’est alors que je sentis le sol se dérober sous mes pieds. Je perdis l’équilibre, bascula en avant puis en arrière pour plaquer mes omoplates contre la paroi pendant qu’un bloc de pierre disparaissait plus bas dans l’écume de la mer. Dans un ultime effort, je sautai pour atterrir devant l’entrée du tunnel.

J’avais prévenu Wilson qu’après la dernière mission ce serait la retraite aux Caraïbes, mais ces salauds de la NSA n’ont pas hésité à me faire chanter; une histoire de prostituée en Thaïlande. C’est donc sur l’île de Corvo, perdue au milieu de l’Atlantique qu’on m’a envoyé.

De nouveau en service, mais la dernière fois, quoi qu’il arrive. C’était la promesse que je m’étais faite avant le départ.

Par Didier


02

Me voilà, donc, sur une île dont je ne connaissais même pas l’existence enfin je crois..enfin..c’est sûr !

Je ne me souviens plus de rien il parait. Mais j’ai bien la sensation d’avoir répété ce schéma et même de l’avoir toujours appliqué.

Le PiU01-15, un nouveau calibre qu’ils m’ont refilé, accroché à mon ceinturon insupportablement serré ne me faisait pas spécialement peur, au contraire sa présence me rappelait celle d’un ami.

Arrivé à l’objectif, le son de mes deux pieds percutant le sol dur des lieux fût amplifié. J’avais oublié les principes de réceptions furtives. Je finis alors par reprendre l’équilibre et il était déjà là, devant moi, entre mes mains écorchées. Comme s’il voulait me couvrir de lui-même. Fascinant.

Je fis un pas de sûreté puis une pause. Un autre pas, et une autre pause. J’étais figé, scrutant les ténèbres attendant d’avoir une quelconque information sur cet endroit.

L’écho de ma respiration suivait celle de ma délicate réception qui s’éloignait et se répercutait sans cesse contre les parois de ces ténèbres.

J’attendais patiemment. J’attendais la seule et unique lumière qui ne m’avait pas lâché pendant l’ascension. Celle du phare à quelques encablures. Qui d’ailleurs avait pris pour habitude de m’éblouir pendant mes temps de récup’ et ce, du début jusqu’à la fin de l’exercice. Maladroit dans le timing. A croire que je souhaitais perdre la vue. Enfin, il me semblait.

Elle arrivait. Dans les ténèbres, mes yeux s’asséchaient. Elle était lente. TROP lente. J’attendais qu’elle passe par-dessus mes épaules et quand se fût le cas, elle se projeta sur une surface qui me renvoyait son éclat. J’attendais de recouvrer la vue…encore.

Par Sam


03

Je m’enfonçais dans le tunnel en profitant de la lumière du phare autant que possible. Les parois humides reflétaient bien la lumière, mais à chaque pas, l’obscurité gagnait du terrain.

Je finis par amorcer un virage qui me plongea définitivement dans le noir. Et le silence.

Je m’assis un moment pour panser mes plaies et habituer mes yeux. En réalité, je n’en pouvais plus. Le chemin pour arriver jusqu’ici m’avait vidé de toute mon énergie. C’était pas l’envie de me tirer qui m’étouffait, mais pour aller où ? Je savais que j’aurais dû refuser !

Au-dessus de moi il y avait des énormes tuyaux qui crachaient de la vapeur. Il commençait à faire chaud. J’aurais pu rester là.

C’est à ce moment que les choses se sont gâtées. Des bruits de pas qui faisaient craquer le sol et des voix graves commençaient à s’approcher de ma carcasse.

Par Didier


04

Des halos de lumière de faible intensité se projetaient sur la paroi externe du virage. Ils me renseignaient sur la distance à laquelle se trouvait le danger. 

J’abrégeai mes soins et décidai d’envoyer ma dépouille dans l’étroite saignée à l’intérieur de ce même virage. Plusieurs autres tuyaux, plus fins, y siégeaient. Je l’avais aperçu très brièvement.

Une rentrée en pas chassé peu élégante. Mon ventre polit la totalité des tuyaux tièdes en face et l’arrière du corps ceux plus chaud derrière moi. 

Je finissais de cuire en silence. Je voulais savoir si je les avais fait réagir. Non. 

J’expirai de soulagement et fis un autre pas chassé, cette fois sur la pointe des pieds, afin de m’y enfoncer un peu plus. L’espace étroit était devenu une vierge de fer. En effet, deux retours de tuyaux et une petite vanne étaient là.

Le premier retour logé dans les côtes. L’autre, au niveau de ma cheville, la pliait vers sa jumelle et la vanne me finissait en s’enfonçant de plus en plus dans l’épaule qui subissait tout le poids de mon corps fatigué en appui déséquilibré.

Mon compagnon, lui, s’occupait du fond sonore au moindre mouvement de hanche. Tout mon côté droit, de haut en bas, dégustait salement.

Par Sam


05

Plus que quelques secondes et ils seraient là. Ma position ne me laissait pas beaucoup d’alternatives. J’attrapai mon calibre, celui qui tue, et tendis le bras vers le tunnel.

Ils étaient là. Plus de voix, seulement les pas, au ralenti. Un faisceau de lumière suivi d’une silhouette passa. Puis un second. Puis plus rien. Qu’est-ce qu’ils foutent, je me suis dit. Les secondes paraissaient des minutes. S’ils me trouvaient comme ça, avant de me cribler de balles, ils auraient certainement pris un selfie avec le seul espion capable d’aller se coincer dans un endroit improbable. Et puis la véritable question m’est venue à l’esprit, qu’est-ce qui passe dans ces tuyaux ? Ça sentait le soufre.

Ces types devaient savoir où j’étais mais cherchaient comment me faire sortir sans tout faire exploser. J’avais une carte à jouer: celle de la surprise et je n’aurais qu’une seule chance.

– Excusez-moi, je suis coincé, j’ai dit.

Je me suis pris une lumière dans la face et j’ai tiré au pif. Le gars gueula et tomba à terre.

– Sors de là, fils de pute ! cria l’autre.

J’ai commencé à me dégager, toujours le bras tendu, au cas-où. La lumière sur un pan de mur commençait à se rapprocher. Celui qui pensait que je n’étais que le fruit d’un coup d’un soir allait passer un sale quart d’heure.

Par Didier


06

Je sentais l’impact de sa bave épaisse sur tout le profil, visage inclus, tant il gueulait de rage.
L’autre gémissait semble-t-il mais de moins en moins. 

Je passais le coude du bras encore semi-paralysé par la vanne, entre les tuyaux derrière moi afin d’y prendre appui et de tenter de m’échapper de ce piège à la con malgré la douleur. 

Deux trois mouvements d’ivrogne plus tard, je me libérais pour toujours.

L’éclatante sur la figure commençait à me cuir le visage. Encore un phare ?

Aussitôt sorti, j’aboyais de baisser sa foutue lumière. Soudainement je repassais dans l’obscurité, du moins à moitié. Le faisceau pointait dans la vapeur des tuyaux au-dessus avant d’éclairer le bas du mur derrière moi. Immobile. Que s’est-il passé? Je n’en entendais qu’un seul gémir. J’ai tiré? Je ne sais plus.  

Par Sam


07

Il était temps d’avancer, ça empestait le soufre. Les deux cadavres ne portaient rien qui puisse abréger mon périple, mais j’ai quand même piqué un paquet de clopes, au cas-où.

Après quelques minutes de marche, j’arrivai à la sortie du tunnel. Bon sang, un peu d’air frais.

En face de moi s’étendait la plaine intérieure du volcan et ses deux petits lacs.

J’étais arrivé par le nord de l’île en escaladant ses falaises meurtrières, j’avais traversé un tunnel obscure alimenté par du gaz explosif et gardé par des types armés mais j’avais enfin ma récompense. Contempler une réserve de biosphère reconnue par l’UNESCO.

Je me posais un moment et réfléchissais à la suite des événements. Je devais emprunter une route qui devait me mener directement à mon objectif, au sud de l’île, le village de Corvo. Avec un peu de chance j’allais tombé sur un touriste véhiculé et pas encore un gars de la milice locale.

Il me fallait marcher un bon kilomètre avant de rejoindre la route, alors une petite clope s’imposait, merci “fils de pute”.

Par Didier


08

Encore dans les vapes. J’améliorai mes soins en y portant le coup de grâce: je re-balançai du truc qui pique par-dessus les pansements comme un ivrogne le ferait. La première taffe quant à elle mimait les effets du soufre sur mon organisme. C’était plutôt agréable.

L’aube faisait son travail d’artiste en venant apporter ses couleurs au tableau. J’approchais du petit lac sur la droite pour me débarbouiller. Je me mis à genoux et au moment de me pencher il y eut du mouvement dans ma vision périphérique. J’avais déjà le bras, et le mauvais d’ailleurs, tendu dans la direction. Au moment de tourner la tête une violente migraine me terrassa, ma vision se brouilla. Je tremblais, je ne voyais rien à cause des larmes, je haletai. Pas moyen de respirer correctement. S’en suivi un terrible acouphène bien strident qui me faisait grincer des dents. Mon envie de tirer m’acculait.

Par Sam


09

Vu mon état, ça n’aurait pas été sage d’entamer un combat armé. Je courus m’allonger un peu plus loin, pas vraiment camouflé. En effet, se cacher dans une plaine de jour n’est jamais chose facile. Nom de Dieu, cette migraine me faisait un mal de chien ! Malgré tout, l’approche de voix me confirmait que je n’avais pas rêvé.

– … alors ils m’ont dit: “Hé Monty, va faire un tour avec ton pote du côté du tunnel, Jim et Bob ne répondent plus.”. Ces cons ont encore dû oublier que le réseau ne passe pas là-bas et c’est bibi qui s’y colle.

– T’en fais pas, ça me dérange pas. J’aime bien venir par ici. Regarde comme la nature est belle. C’est un endroit idéal pour prendre sa retraite. J’irai même jusqu’à dire que c’est dans un endroit comme ça que j’aimerais finir mes jours.

Ô toi dont j’ignore le nom, me suis-je dis, laisse moi réaliser ton vœux à la vitesse de la lumière. Je brandis mon flingue et cala une bastos dans la tête de Monty et son pote… ou presque. Malheureusement, Monty prit la balle dans l’épaule et gueula comme un putois. Il faut toujours qu’ils gueulent, ces gars-là doivent être fans de théâtre dramatique.

Je me laissais tomber dans l’herbe et regarda Monty gémir et se tordre de douleur, cherchant vaguement d’où provenait le coup de feu. C’était étrange, j’étais aussi mal en point que lui mais pas pour les mêmes raisons et pourtant il avait l’air vraiment au bout de sa vie. Au bout de quelques minutes, je me suis lassé du spectacle. Monty semblait avoir épuisé son dictionnaire de noms d’oiseaux, alors il s’en est allé rejoindre son ami à la retraite.

De nouveau, je me laissais tomber dans l’herbe et attendis que cette foutue migraine se casse.

Par Didier


10

Le vent commença à faire hurler cet endroit. L’air frais et la tranquillité que je venais d’installer m’ont poussés à baisser ma garde. La migraine m’obligeait à fermer un œil tant elle crispait mon visage. 

Je décidais donc de laisser l’autre œil l’accompagner un bref moment. Ça tourne ! 

Le temps de subir cette attraction mentale, j’entendis comme une sorte de perceuse visseuse se rapprocher. C’était rapide mais je connaissais ce bruit.

Le temps de décider d’ouvrir les yeux, je le devinais au-dessus de moi à quelques mètres. À peine j’entre-aperçu la lumière du jour qu’un bruit lourd et métallique heurta le sol à une dizaine de centimètres de ma tête. Les yeux complètement ouverts, j’adoptais la pose de la mante bleue version homme saoul. La “visseuse” n’était qu’un drone-cargo puissant et rapide. Quant au bruit lourd et métallique ce n’était qu’un coffre noir de ravitaillement à interfaces multiples sécurisées. 

J’entamai alors le rituel d’ouverture machinalement: l’index dans l’encoche à côté du petit écran, l’autre index tapait déjà le code d’ouverture. Une fois la première étape terminée, je toquais sur ses surfaces alternativement la séquence de déverrouillage : haut, haut, bas, bas, gauche, droite, gauche, droite et de retour sur le pavé numérique B et A.

8.9 secondes plus tard il me félicita d’un “Bravo mais record non battu” et s’entrouvrit.  

Je l’ouvris complètement. Il s’y trouvait une note sur les changements de la mission, deux chargeurs, un paquet de clopes, une seringue de 1 ml de G-plumalox pour mes amnésies et un papier soigneusement plastifié. La note changeait drastiquement mon itinéraire et les enjeux de ma mission. Les deux chargeurs dans les pochettes de mon ceinturon, le paquet de clope évidemment près du cœur, la seringue dans la veine du cou et le papier plastifié dans la poche arrière sans le lire. Ce n’était pas le moment.

Je jetai l’ancien paquet, le soupçonnant d’être coupable de mon état.

J’oubliai un moment la seringue dans le cou que je finis par retirer.

Par Sam


11

Une fois revigoré, je quittai la caldeira et rejoignis la route menant vers le sud.

Le temps avait tourné depuis la veille, un vent glacial s’était levé et avait chassé les nuages laissant apparaître le soleil.

La route semblait dégagée alors je me décidai à faire un petit footing histoire de ne pas perdre de temps et de me réchauffer. J’étais totalement à découvert mais avec déjà quatre victimes à mon actif, je me disais que je n’aillais pas revoir quelqu’un de si tôt. Et pourtant…

Elle était là, marchant au bord de la route. Tu parles d’une surprise. Une petite nana, la trentaine, brune, les cheveux longs, la peau légèrement bronzée et pas tellement équipée pour affronter ce vent. Je m’approchais d’elle discrètement en scrutant les alentours. Elle jurait et semblait énervée. Une fois certain que nous étions bien seuls, je demandai: “Vous êtes perdue ?”

Elle sursauta et je mentirai en disant que ce n’est pas ce que j’avais espéré.

– Il n’y a qu’une route, on peut pas se perdre sur cette île de merde.

Après m’avoir observé quelques secondes, elle me demanda: “Vous n’êtes pas de la milice, qui êtes-vous ?”. 

Plus c’est gros, plus ça passe alors j’ai dit: “Je suis un agent de la NSA en mission d’infiltration et je me dirige vers ma cible. Et vous ?”

Elle sourit et dit: “Une call girl à qui on a fait un sale coup et qui se dirige vers ceux qui lui ont fait ça pour leur péter la gueule.”

J’avoue que sur le moment, il était difficile de savoir si elle disait la vérité. Pire, si elle avait vu clair dans mon jeu.

– Faisons la route ensemble, le temps passera plus vite, j’ai dit.

Elle sourit de nouveau.

– Pourquoi pas.

Elle m’avait tapé dans l’œil, alors je jouai le gentleman et lui proposai d’enfiler ma veste.

Je réalisai ensuite que mon flingue était dedans, ainsi que l’itinéraire et le reste. Je me dis que je ne risquais pas grand-chose dans la mesure où elle ne représentait pas une grande menace.

Nous marchâmes une bonne heure sans croiser personne puis nous fîmes une pause.

– Votre arme me pèse, vous voulez bien la récupérer monsieur de la NSA ?

– Heu, oui bien sûr. Je m’appelle Archi, Archi Adler. Et vous ?

Elle sourit, encore.

– Giulia.

Par Didier


12

– Vous savez, continua-t-elle en tapotant son corps, semblant chercher quelque chose, les gens ont la fâcheuse tendance à exprimer leur opinion sans se soucier de ceux qui les entourent. Laissez-moi vous dire que votre veste empeste le soufre et que je connais l’île sur le bout des doigts.

Elle posa les yeux de nouveau sur moi, toujours avec le sourire. Son regard était tendre et profond. Elle marchait avec nonchalance et se mit à faire un pas de côté vers moi sans détacher le regard. Quelle gymnastique du cou ! Je douillais toujours, j’en pouvais plus !

Je m’inquiétais tout en n’ayant guère quelque chose à faire de ce qu’elle aurait pu deviner. 

J’avais mon calibre, prêt à toute éventualité, mais elle avait tiré la première. Cette nana dégageait un  truc.

Elle m’arrêta en me prenant enfin le bras pour me ralentir, oui toujours le mauvais, et se mit en face de moi. Elle posa sa main délicatement sur mon torse un instant, sourit un peu plus intensément, son visage se rapprochait un peu plus. Elle chopa alors le paquet dans la poche près du cœur, prit une clope, et le remit à sa place. De l’autre main, un briquet s’installa devant MA clope qu’elle venait de mettre au bec. Il ne s’allumait pas. Elle insistait mais en vain. Son regard plein d’assurance et d’éloquence s’émiettait devant moi.

– Superbe technique que vous avez là, un peu plus et je vous engageais sur le champ. Vous avez remarquablement mis fin à cette tentative d’envoûtement. 

Elle rougissait derrière son épaule pendant que je riais aux éclats. Cela m’a permis de me recentrer sur les objectifs de missions.

–  Je ne suis pas encore doué, répliqua-t-elle, alors je m’exerce autant que je peux. C’était censé être plus facile sur une proie affaiblie. Il semblerait qu’il y ait encore quelques réglages à faire. Elle se mit à rire.

C’était sympa, on se marrait bien. Le silence commençait à pousser les rires en touche, elle m’acheva d’un “Vous avez du feu?”. Comme si mon corps n’avait pas assez subi jusqu’ici. 

J’adorais ce qu’il venait de se passer. Quel sens de l’autodérision !

–  Que vas-tu faire au sud ? Je suis quand même à deux doigts de te croire car je ne t’ai jamais vu dans le coin Darling. Il n’y a que le grand village de Corvo, assez paisible, où la quantité d’auberge surestime l’attrait de cet endroit. Toutefois, deux d’entre elles proposent quand même de l’alcool de qualité à réveiller les morts. Je me taperai bien cinq ou six verres sur le tas de cadavre que je vais m’assurer d’ériger. 

Son accent m’adoucissait jusqu’à complètement oublier mon ami et me redresser afin de garder une posture d’homme fier faisant fît de ses blessures.

Par Sam


13 

Nous finîmes par arriver au bout de notre route, perchés en haut du petite colline, surplombant le village de Corvo. Il y avait un peu d’animation près de la piste d’atterrissage, des hommes embarquaient dans un T-23 Uirapuru. Ce monoplan avait servi pour les entraînements de la Force Aérienne Brésilienne dans les années 70. Chose étrange: le Brésil puis la Bolivie ont stoppé leur utilisation en 84 et 92 respectivement, seul le Paraguay continue de s’en servir pour l’académie de l’air de Nhu-Guazu. De plus, la distance maximale franchissable par cet appareil est d’environ 800Km et l’aéroport le plus proche se trouve au Portugale, soit pas loin de 2000Km. Enfin, les déplacements dans l’archipel Açores se font essentiellement par bateaux. Ma conclusion était qu’il se tramait des choses louches, et c’était la raison de ma venue.

Le vent soufflait plus que jamais et je commençais sérieusement à avoir froid. Je pressai le pas et demandai à Giulia de choisir un lieu pour se requinquer et mettre fin à la récréation. Pour cela, il fallait me séparer d’elle sans être totalement saoul.

Nous rentrâmes au “O bar de cerveja”. L’intérieur ressemblait à l’extérieur. Les murs étaient blancs, sans décoration et le sol d’un marron délavé, triste. Seul le comptoir en bois venait égayer le lieu. Le barman discutait avec deux hommes. Il y avait également un groupe assis un peu plus loin.

Giulia commanda deux pressions et nous allâmes nous asseoir autour d’une table au plateau désespérément blanc. Après quelques questions et remarques sur ce lieu sans charisme, deux types rentrèrent, un gros et un maigre. Ce dernier remarqua Giulia et s’avança vers nous la gueule enfarinée.

– Alors ma petite, on a fini par retrouver son chemin ?

– Évidemment, lâcha Giulia en levant les yeux au ciel.

– Et lui c’est qui ?

– Archi, dis-je en lui coupant à moitié la parole.

Il tendit la main.

– Enchanté Archi, moi c’est Paul. Puis sur cette salutation étrangement cordiale, il alla rejoindre le comptoir.

– Qui est-ce ? demandais-je l’air de rien.

– Un pote.

De toute évidence, elle avait besoin de picoler pour délier sa langue.

Par Didier


14

Après quelques bières, un casse dalle et des discussions sans importance, Giulia semblait prête à se mettre à table et je relançais le sujet sans prendre de gants.

– Va te faire voir Archi, tu crois que je t’ai pas vu venir ? T’es pas le premier à me faire boire, cracha-t-elle en s’éloignant vers le comptoir.

Elle n’était pas prête, aussi j’ai préféré lâcher l’affaire plutôt que de perdre du temps et risquer, comme je le disais, de finir saoul.

Paul s’approcha d’elle et entama un bavardage, c’était le moment de filer à l’anglaise. Je fis mine de sortir le paquet de clopes de ma poche pour aller fumer dehors lorsque le gros accrocha mon regard. Il me fixait mais ne disait rien. Je m’avançais vers la sortie, décontracté, innocent. Je posais la main sur la poignée, poussais la porte, mis un pied dehors puis l’autre. Rien ne se produisit. Finalement, j’allais bien m’en griller une.

Ça caillait toujours, mais un peu d’air frais pour dissiper l’engourdissement était le bienvenu. 

J’avais cinq minutes pour élaborer un plan, après quoi c’était évident que si je ne rentrais pas on allait me tomber dessus. Ces gars à l’intérieur n’avaient pas des têtes de touristes et la nouvelle que des gars manquaient à l’appel avait dû faire le tour de leur réseau. Logiquement s’ils ne savaient pas qui j’étais, cela faisait de moi un suspect idéal. Un suspect suffisamment débile pour venir les saluer au bar du coin.

Bref, la cigarette tirait dangereusement vers le mégot et je ne savais toujours pas comment me sortir de ce merdier. Le gros se retrouva près de moi et faillit me faire sursauter, il avait franchi le pas de la porte comme un spectre malgré sa taille colossale.

– Monsieur Adler je n’irai pas par quatre chemins. Je m’appelle Henry Vysokiy et je travaillais pour le KGB autrefois. Je sais qui vous êtes et ce que vous faites ici.

N’ayant pas vraiment d’alternative, j’acquiesçais pour l’inviter à poursuivre.

– Ils se doutent de quelque chose et ils ne vous restent que peu de temps pour vous enfuir. Prenez cette carte, elle vous permettra d’accéder au bunker situé sous l’aéroport. Il vous faudra éviter les patrouilles qui gardent l’entrée. Ensuite, vous devrez faire face à la milice privée à l’intérieur dont vous pouvez soustraire ceux qui se trouvent dans ce bar.

– Que voulez-vous dire ?

Il sortit de son caban deux pistolets dont les canons faisaient la taille de mon bras.

– Partez monsieur Adler.

Par Didier